Père & Fils [PV Boule Mal Lunée]

Que se passait-il? Je sais pas. Je sais plus. Les corbeaux, -ces grands oiseaux noirs- s'envolaient des champs. Des champs? Je n'en ai jamais vu de ma vie. Ces corbeaux, ces bêtes infâmes, volaient devant une lune noire. Comment pouvaient-ils respirer le même air que nous? Cet air, au bout de leurs becs vermeilles, deviendra bientôt si délétère qu'on en pourra plus le respirer. Je baissa les yeux. Un cadavre. Les corbeaux volaient au-dessus d'un cadavre. Le cadavre s'approche de moi. Comment peut-il bouger? Sa queue fouetta l’air et m’envoya choir dans la boue. Aïe. Je vis les corbeaux. Qui regardaient-ils? L'autre cadavre. Ils piochaient dans les membres de ce pauvre animal, m'envoyant des flasques de sang. J'en reçus dans l'oeil. Je me releva, pattes tremblantes. Si je reste ici, je vais finir comme lui. Je tourne les talons et commence à courir. La lune apparaît derrière une colline. Mon esprit élétré me joue encore des tours. Pleine lune. J'ai une soudaine envie de bouger. Mon rythme cardiaque s'accélère. Je me sens emporté par mes pattes. Loin d'ici. Je sens encore le sang. Des rires résonnent à mes oreilles. D'où viennent-ils? Je ne sais pas. Tout est noir. La lune est en sang. Non. Non. Je soupire tristement. C'est moi qui suis malade.

J'ouvre lentement les yeux. Le soleil brille. Il n'y a plus de lune. Pensif, je tourne les yeux vers mes deux soeurs. Elles sont en train de jouer, de mimer une scène de combat. Petite Chouette a le dessus. Je tourne de nouveau les yeux vers la Pouponnière. Je me sens seul. Très seul. Tout seul.
"-Mais tu es seul."
Ces paroles ne sont pas les miennes. Pourtant elles sortent de ma bouche. Je tire la langue et fait passer mes dents dessus, tout en crachant. Il faut que cette personne sorte de mon corps. Mes yeux se remplissent de désespoir. Je regarde les autres chatons. Je ne suis pas normal.

Une proie devant moi. Je commence à engouffrer mes crocs dedans. D'où vient-elle? Je ne sais pas, elle est apparue, c'est tout. C'est un cadeau de quelqu'un. Peut-être de la personne en moi, qui veut se faire pardonner.

"-Tu es sûr que ça va ?"
Cette voix. Cette voix. Cette voix représentant tant pour moi. Mon père. J'ouvre les yeux. Mes vrais yeux. Qui me permettent de voir, de regarder réellement, pas ceux que tout le monde voit. Je le vis. Il fit ma toilette. Je baissa les yeux: il avait aussi un gibier. Mon deuxième moi se montre généreux. Je suis malade. Je le sais bien. Je ne suis pas normal. Je regarde mon père. Je l'aime tellement. Des chatons sortent de la Pouponnière. Ils me voient. Ils s'en vont. Mon père a assisté à la scène.

"-Pourquoi ont-ils peur de moi? Ce n'est pas de ma faute si il me parle." Et il apparut, la voix tonnante, dure et si grossière. Son corps fumait d'orgueil. Il me demanda mon nom: Comment t'appelles-tu? Je ne répondis pas. Il ne le sut jamais. Je me tourna vers mon père. -Je ne me souviens de rien. Il faudrait chasser les corbeaux. Il ne le fera pas. Je n'aime pas ces bêtes. Tais-toi. Tu es stupide. Sors de mon corps. Non.''
J'avais fini ma proie. Je m'affaire par-terre. Certains chats me regardent de côté. "-JE NE SUIS PAS NORMAL.'' Je baisse les yeux. Je n'ai fait que parler. Mes soeurs ont arrêtées de jouer. L'une d'entre-elles me regarde. Je ne sais plus comment elle s'appelle. L'autre non plus. Qui sont-elles? Je ne les connais même pas. Je souris. Stupide créature.

J'ai toujours aimé les arbres. Et le soleil. Le soleil, cet astre semblable à la lune. Mais ce n'était pas la lune. La lune me fait mal, le soleil me réchauffe. Je ne me souviens plus de l'endroit où je suis né. Je suis né de ma mère. Mais avant ça, avant d'être en elle, où étais-je? Je ne sais plus. Quoique si. Il y avait des montagnes. Des grandes montagnes. Du soleil. Plein de soleil. Des chats. Beaucoup de chats. Des forêts. Des forêts enchantées. Il n'y avait jamais de nuit, il n'y avait jamais de lune. Tout allait bien. Il y avait beaucoup de chats, comme moi. On s'amusait bien. Je ne me souviens pas de mon corps, en fait je n'en avais pas. Je parlais souvent du soleil. Le soleil qui me réchauffait, m'embrassait, me lassait, me donnait envie de vivre, était là, caché quelques parts parmi de funestes branches, toujours à veiller sur moi. C'était un peu ma famille. Quand je voguais seul, dans un endroit inconnu, que j'avais peur, que je n'arrivais pas à m'endormir, je levais les yeux. Et je le voyais. Là, toujours là, à me regarder. Mon soleil.

Maintenant mon soleil a disparu. Je lève les yeux vers le ciel. Il y avait des nuages. Plein de nuages. On ne le voyait pas. J'ai eu envie de pleurer. Était-il parti? M'avait-il abandonné? Non. Je secoue ma tête. Il ne faut pas que je réfléchisse de telle sorte. Il doit être quelque part, toujours avec moi. Je suis en toi. Les personnes partent, les souvenirs restent. J'ai toujours eue peur de la mort.

La mort. Rien que ce mot me fait frémir. Je suis déjà mort une fois. Je m'en souviens comme si c'était hier. Les feux d'artifices éclataient dans le ciel. Il faisait une chaleur abominable. Il n'est plus là. Il n'est plus là. Mon astre m'a quitté. Je n'ai plus de famille. Je courais éternellement sur la plage. Je ne savais pas où aller, je ne voulais pas lever la tête. Tout était sombre à présent. Il n'y avait plus de jour. J'étais tellement petit... Les autres restaient en groupe. Moi, je restais avec mon astre. S'il n'était plus là, je me retrouvais seul. Comme à ce moment-là. Je suis rentré dans une grotte.

La grotte était sombre. Très sombre. Pourtant, lorsque je levais les yeux, je voyais le ciel. Quel ciel? Ce n'était pas un ciel. C'était une abomination. Le soleil n'était plus là. Il y avait à la place quelque chose de froid, quelque chose de blanc, quelque chose de taciturne. Il ne réchauffait rien, lui. Il faisait peur. Je ne voulais plus le voir. Je continuais d'avancer au fond de la grotte. Je ne voulais pas aller dehors, il faisait trop froid. C'est peut être la mort. Peut-être que je sombre de l'autre côté. Non. Mon souffle -parmi ce paysage froid- était chaud. Encore chaud. Donc il restait de l'espoir.

Et c'est là que je l'ai vu. Lui. Je n'aurais pas du aller au fond de la grotte. Il me regardait avec des yeux blancs. Il était froid. J'aurais du rester dehors, me réchauffer, avec le peu qu'il me restait. Tout en lui était mauvais. Il me demanda mon nom: Comment t'appelles-tu? Je ne répondis pas. Il ne le sut jamais. Tu me posais des questions que je ne comprenais pas: Que murmure l'air froid à tes oreilles? Vois-tu les étoiles? Quelles nouvelles apportent-elles? Devant mon air ahuri, ta queue fouettait l'air. Tu n'as jamais eu de patience. Pas avec moi, ni avec personne. Alors tu grondas, griffas, me poussas le nez dans la poussière pour que j’entende le cœur de la terre. Je ne comprenais pas pourquoi tu avais besoin de moi, je comprenais peu de choses en vérité.
Tu m'as demandé de me prosterner. Je ne le fis pas. Je ne pouvais plus sortir de cette grotte. C'était ma prison. Je ne pouvais aller nulle part. Tu étais heureux: j'étais heureux. Tu pleurais: j'étais triste. J'étais sous ton entière volonté. Je voyais des fois mon astre. Mon soleil. Il apparaissait à travers les cavités sombres. Il éclairait devant moi. Il me cherchait. Je ne pouvais rien faire. Ou alors je mourais.
J’ai fait saigner mes ongles sur la roche griffue, mais ce ne fut pas assez. Il fallait toujours se taire et écouter. Il fallait toujours faire ce que tu voulais que je fasse, être à l’endroit où tu voulais que je sois. J’en eus assez. Tu aurais dû le savoir. Toi qui savais tant de choses, toi qui croyais tout voir. J'étais devenu un monstre. Ton adepte. Puis je me suis enfui. Je ne pouvais plus te voir. J'avais réussi.

Je ne ressentais plus rien. Le soleil pleurait, essayait de me réchauffer, me disait des mots doux. Mais ça n'avait plus d'effets sur moi. J'étais sombre, et je sentais toujours sa présence en moi. Je la sens encore. Il me parlait et il me parle. Je n'arrivais pas à le chasser. J'étais encore adepte de ses sauts d'humeur. Et la nuit, quand il apparaissant, quand le soleil n'était plus là pour me protéger, que j'étais seul, je ressentais son infection. Ce qu'il m'infligeait. J'ai peur.
Je regarde mon père. Mon soleil. J'ai envie de me blottir contre lui. C'est ce que je fis.

"-Tu peux le battre, je sais que tu en est capable, je l'ai moi-même fait. Courage et détermination sont les premiers mots de mon vocabulaire, ils devraient aussi être les tiens."

Il a compris. Il a compris. Lui. Mes yeux se mirent à pleurer. Je tremblais. Courage et détermination. Je ne fais que pleurnicher. Je suis le fils du soleil. Je ne dois pas être comme ça. Je me battrai. Éternellement s'il le faut, mais un jour tu partiras de moi. Je me relève. Sa présence est en moi.
"Va-t'en. Ne reviens pas." Des gouttes de sueur perlaient de mon corps. Je m'adressais à lui. Mon père assistait à cette triste scène. "Silence, sale créature. Non. Tu te soumettras à moi, je t'ai éduqué, je t'ai appris les paroles des étoiles. Tu ne m'as appris que le mal.'' Et il disparut. C'en était assez. Je souris à mon père, avant de m'effondrer à ses pattes.